This work is about Marguerite Duras and Les Roches Noires, a place she lived in for decades, an old hotel along the sea in Trouville-sur-Mer. Please find here the text of the author Alain Vircondelet about my work and a selection of pictures.

 

   NORTH PLACES, pour Marguerite Duras

      Rotonde de la Mairie de Trouville-sur-Mer

     6 et 7 octobre 2018  

Il s’est toujours agi pour Marguerite Duras, de traquer la lumière,  de la saisir dans sa montée comme dans sa chute, d’en capter les moirures et les indicibles pulsions qui l’animent et de la voir, telle cette valse de Chopin dont elle parle dans L’Amant, « se jeter » et s’éclater dans la mer, « toujours recommencée ».

La lumière et la mer donc, parvenir à les représenter et à travers elles,  réenchanter le monde.

Pour cela, Marguerite Duras s’est toujours intéressée à la photographie et plus largement à l’image. Défier les pesanteurs de la matière, des êtres et  des sociétés et retrouver l’innocence originelle, la blancheur des premiers jours. Savoir rendre par les mots cette clarté inaugurale, transcrire la force de son apparition. Benjamin Deroche a sûrement entendu ce désir-là de Marguerite Duras, à vrai dire la seule voie pour elle, celle des grands secrets, cette quête d’une genèse sans cesse murmurée. Il l’a sûrement comprise, cette voie, pour avoir réalisé avec tant de justesse cette série de 12 clichés pris dans la pureté d’un début du monde, au lieu même où Duras habitait, aux Roches Noires, à Trouville-sur-Mer, et où dans la défaite de son corps et la violence de sa douleur, elle a tenté, avec une constance tragique, de reprendre sa vie et de la réinscrire dans la blancheur immaculée des débuts.

Benjamin Deroche fait ici comme Duras, œuvre spirituelle. Du silence qui surgit du hall de Mallet-Stevens, des jardins jusqu’à la mer de l’ancien palace, des rivages de sable poudrés de neige, il fait entendre la solitude, le désir de l’en-allé, l’effacement des choses et des êtres, des traces de l’infini blanc ; du châle posé sur une balustrade et qui semble s’envoler, il trahit le frémissement des mémoires, le jeu sensible des âmes languissantes, celle d’Anne-Marie Stretter se dirigeant vers la mer, pour s’y confondre. Et ces images qu’il accueille, qu’il ne conçoit pas mais que son œil voit et accueille, révèlent ce qu’elle écrivait dans L’Amour, le plus énigmatique peut-être de ses textes, écrit en 1972, dans lequel la lumière est omniprésente, parce qu’elle « ouvre, écrit-elle, montre l’espace qui grandit ».

C’est cela qui me retient en admirant les photographies de Benjamin Deroche : cette lumière partout, qui envahit l’espace, l’élargit et aveugle. Le silence accapare tout, mais il laisse émerger la musique, elle résonne, intérieurement, comme un cri contenu, elle rythme les lieux, plain-chant, pleine mer, plein ciel encore. C’est pourquoi l’œuvre de Duras m’est toujours apparue comme hautement sacrale. Elle touche à la poésie la plus antique, quand elle était considérée comme la plus haute expression de la conscience, sa transcription absolue. Benjamin Deroche sait ces choses-là. Que « s’il n’y avait pas la mer et l’amour, comme dirait Duras, personne n’écrirait de livres », et l’on pourrait rajouter : ni  d’images.

La mer face à elle : les jours de tempête surtout, quand les vagues semblent pénétrer dans la chambre, et qu’elles viennent effacer tout ce qui est rugueux et aride. Duras aimait ces heures-là, parce qu’elle pouvait, à ce moment précis, croire à quelque chose qui la dépassait : « Ce bruit, vous savez ? de Dieu ? » 

Les photographies de Benjamin Deroche se placent à  l’endroit précis de cette question qui clôt le récit de L’Amour. Celui d’une apparition qui soulève l’unique question de la vie et de la mort : celle de Dieu, jamais épuisée.

Alain Vircondelet, septembre 2018 

Alain Vircondelet est écrivain et universitaire. Pionnier des études durassiennes, il est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages consacrés à Marguerite Duras, tous traduits dans le monde.